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La mort est-elle signe de vie ?

(Chronique du mois des morts)


Il pleut, enfin.

Les cratères de poussière et les puits artésiens, la bouche grande ouverte.

La terre grinçait des dents, à défaut de pouvoir compléter son cycle de putréfaction.


J'imagine les vers de terre – ces jardiniers sans yeux – danser dans la boue, caressant la moiteur du monde comme on retrouve une ancienne maitresse. La vie a besoin de se décomposer pour recommencer à respirer.


Devoir se frayer un chemin dans la sécheresse, voilà l'enfer moderne.


Mais nous, humaines isolées sous nos plastiques biodégradables (ou presque), on résiste à cette vérité. On se parfume, on se filtre, on s'encapsule — tout pour éviter la sensation de se décomposer, tout pour éviter de se rappeler que nous aussi, nous finirons par nous dissoudre.

Je me demande, est-ce qu'on s'embaume vivantes ?


Peut-on vraiment vivre sans consentir à nommer nos pourritures ? Sans reconnaître que nous portons nos zones d'ombre et d'imperfections qui demandent à se composter ? En niant la responsabilité de nos failles (comme on refuse la mort) on empêche le cycle de se régénérer. Nos erreurs et nos émotions se chrystalisent plutôt que de fermenter pour devenir terreau.


On fait tout pour éviter de sentir l'odeur de la finitude qui nous attend dans notre lit tous les matins. Notre haleine de chienne qui nous dit : Bon matin !

Nos urines déshydratées qui nous rappellent que l'alcool n'est pas le liquide qu'il est recommandé de boire au minimum de 2 litres par jour.


Sous cellophane, on résiste de tout notre capital pharmacologique pour lutter contre la vieillesse de nos charpentes et la cellulite de nos neurones.

Nous colmatons de papier bulle l'espace sauvage des lieux communs.

Comme on ferme les vitres du char, après l'épandage dans les rangs de campagne.


Je me demande, encore :

Qu'est-ce qui meurt en nous chaque fois qu'on refuse de changer ?

Ou que l'on rétrograde ? Que l'on paralyse l'innovation pour le contrôle ?


J'habite une société génétiquement modifiée qui ne veut plus mourir, ni observer et accueillir le monde tel qu'il est. Impossible de parler sans le critiquer, le juger ou tenter de le modifier. Il manque de slogans du genre : vivre et laisser mourir !


Peut-être est-ce pour ça que novembre nous ramène à la raison ? Le mois de la dépression. Le mois de la grisaille. Le mois des morts, des scorpions et des ombres ; mois de la psyché qui se dénude et devient fragile, vulnérable, pour revenir enfin vers soi, vers l'essentiel d'une vie qui demande à être nourrie de sa petite mort.


Me donneras-tu enfin à boire de cette source si fragile qu'est "l'insoutenable légèreté de l'être" ?


C'est le moment où la lumière se rétracte pour laisser l'obscurité respirer.

Où la terre avale ses feuilles mortes comme des souvenirs prémâchés.

La régénération en cours a besoin de soin, de présence, de lâcher-prise.

Car peut-on vraiment vivre sans consentir à sa propre décomposition ?


J'émets aujourd'hui l'hypothèse que la mort est le langage subtil de la vie.

Le mode d'emploi de l'invisible.

Le code derrière la Matrice ? 0 1 1 1 0 0 0 1 0 1 0 011

vie mort mort mort vie vie vie mort vie


Un encodage aléatoire et séquencé d'absurdités.

Voilà ce qui nous rend perméables à l'existence : l'aspect indissociable des deux variables.


Peut-être que vivre, c'est simplement apprendre à mourir chaque jour avec simplicité.

C'est une manière de trouver le courage d'enfiler une bonne paire de bottes à vache et d'être en mesure d'endosser nos erreurs, dont il faut faire le deuil.

Puis,

Ensuite,

Encore,

Jouir du présent, sans artifice, jusqu'au prochain printemps.





*Le féminin est employé dans ce texte pour simplifier l'écriture et forcer le genre masculin à s'identifier à son indissociable code : XY XX XX XY XY

 
 
 

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